Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/66

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qui est aigu, c’est l’homme qui l’a fait… Quant à l’église, c’est le tombeau de Dieu et de l’homme…

La mère s’endormit, elle n’entendit pas sortir Rybine…

Celui-ci revint souvent. Quand l’un ou l’autre des camarades de Pavel se trouvait là, le chauffeur s’asseyait dans un coin et gardait le silence ; de temps à autre, il disait :

— Voilà… C’est comme ça !

Une fois, il promena son regard noir sur les assistants, et s’écria d’un ton mécontent :

— Il faut parler de ce qui est ; ce qui sera, nous ne le savons pas ! Quand le peuple sera libre, il verra lui-même ce qu’il aura de mieux à faire… On lui a fourré dans la tête déjà assez de choses qu’il ne voulait pas ! Cela suffit ! Qu’il examine lui-même ! Peut-être repoussera-t-il tout, toute la vie et toutes les sciences ; peut-être verra-t-il que tout est dirigé contre lui… comme par exemple le Dieu de l’église. Donnez-lui seulement tous les livres en main, et il répondra lui-même, voilà ! Mais il faudrait qu’il comprît que plus le collier est étroit, plus le travail est pénible.

Quand Pavel était seul, Rybine et lui se mettaient aussitôt à discuter, tranquillement, longuement. La mère inquiète les écoutait, les suivait du regard en silence, essayant de comprendre. Parfois, il lui semblait que tous deux étaient devenus aveugles. Dans les ténèbres, entre les parois de la petite chambre, ils erraient de côté et d’autre, à la recherche de la lumière ou d’une issue ; ils se raccrochaient à tout de leurs mains vigoureuses mais inhabiles, ils agitaient tout, remuaient tout, laissant tomber à terre des choses qu’ils piétinaient ensuite. Ils se heurtaient partout, tâtaient et repoussaient tout, sans hâte, sans perdre l’espoir, ni la foi…

Ils l’avaient accoutumée à entendre une foule de paroles terribles par leur simplicité et leur audace ; ces mots-là ne l’oppressaient plus avec la même violence qu’au début. Rybine ne plaisait pas à la mère ; cependant, la répulsion qu’il lui inspirait au commencement avait disparu.

Une fois par semaine, Pélaguée se rendait à la prison pour y porter du linge et des livres au Petit-Russien ; elle obtint un jour l’autorisation de le voir ; en rentrant elle raconta avec attendrissement :