Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/76

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Sizov disait à la mère :

— C’est le moment pour nous, les vieux, d’aller au cimetière ! Un nouveau peuple se lève… Comment avons-nous vécu ? Nous avons rampé sur nos genoux, constamment courbés vers la terre. Et maintenant, on ne sait pas au juste si les gens ont repris connaissance ou s’ils se trompent encore plus que nous… En tout cas, ils ne nous ressemblent pas. Voilà la jeunesse qui se met à parler au directeur, comme à un égal… oui. Ah ! si mon fils était vivant… Au revoir, Pavel Mikhaïlovitch… tu es un brave garçon, tu prends la défense du peuple… Si Dieu le veut, tu trouveras peut-être des voies et des issues… que Dieu le veuille !

Et il s’en alla.

— Eh bien, mourez donc ! grommela Rybine. Déjà maintenant, vous n’êtes plus des hommes, mais du mortier… bon à boucher les fissures… Pavel, as-tu remarqué quels étaient ceux qui ont crié le plus fort pour que tu fusses désigné comme député ? C’étaient ceux qui disent que tu es un révolutionnaire, un perturbateur… voilà !… Oui, ceux-là… Ils ont pensé que tu serais chassé de la fabrique, c’était ce qu’il leur fallait.

— Ils ont raison à leur point de vue…

— Les loups aussi ont raison quand ils se déchirent entre eux.

Rybine avait l’air morose, sa voix tremblait d’une manière bizarre.

— Les hommes n’ont pas confiance dans la parole toute nue… il faut la tremper dans le sang…

Toute la journée, Pavel se sentit malheureux, comme s’il avait perdu quelque chose et qu’il pressentît sa perte sans comprendre encore en quoi elle consisterait.

Pendant la nuit, alors que la mère dormait déjà et qu’il lisait au lit, les gendarmes revinrent et recommencèrent à fouiller avec rage partout, dans la cour et au grenier. L’officier au teint jaune se comporta comme la première fois d’une manière railleuse et outrageante, prenant plaisir à blesser Pavel et sa mère. Assise dans un coin, Pélaguée gardait le silence, le regard fixé sur le visage de Pavel. Celui-ci essayait de cacher son trouble, mais quand l’officier riait, les doigts du jeune homme avaient un mouvement bizarre ; la mère sentait qu’il avait de la peine à ne pas répondre au gendarme,