Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/79

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années, elle s’était habituée à vivre dans l’attente constante de quelque chose d’important, d’heureux. Autour d’elle, les jeunes gens s’agitaient, bruyants et vaillants, dominés par son fils au visage grave, son fils, le maître et le créateur de cette vie pleine d’inquiétude, mais bonne. Et maintenant qu’il n’était plus là, tout avait disparu.


XIV


La journée passa lentement, suivie d’une nuit sans sommeil. Le lendemain lui parut plus long encore. Elle attendait on ne sait qui, mais personne ne vint. Le soir tomba, puis la nuit. La pluie glaciale soupirait en frôlant les murs ; le vent soufflait dans les tuyaux de cheminée ; le plancher craquait. La mélancolique et douloureuse mélodie des gouttes d’eau tombant du toit, telles des larmes, emplissait l’air. Il semblait que la maison tout entière vacillât faiblement, et qu’une angoisse figeât l’ambiance.

On frappa doucement à la vitre. La mère était habituée à ce signal, il ne l’effrayait plus ; elle tressaillit, comme si on lui avait fait au cœur une petite piqûre bienfaisante. Un vague espoir la fit se lever brusquement. Jetant un châle sur ses épaules, elle ouvrit la porte…

Samoïlov entra, suivi d’un autre personnage qui cachait son visage dans le col relevé de son manteau ; sa casquette était rabattue jusqu’aux sourcils.

— Nous vous avons réveillée ? demanda Samoïlov sans la saluer.

Contre son habitude, il avait l’air soucieux.

— Je ne dormais pas ! répondit la mère.

Et elle jeta un coup d’œil interrogateur sur les nouveaux venus.

Avec un soupir rauque et profond, le compagnon de Samoïlov enleva sa casquette et tendit à la mère une main large aux gros doigts.

— Bonsoir, grand-mère ! Vous ne m’avez pas reconnu ? lui dit-il amicalement comme à une vieille connaissance.

— C’est vous ! s’écria Pélaguée d’un ton joyeux. Iégor Ivanovitch, c’est vous !