Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/84

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— Comment cela ? demanda Maria ; puis, lorsque son amie eut fini de parler, elle hocha la tête en acquiesçant.

— Je veux bien ! Te souviens-tu, que de fois tu m’as cachée quand mon mari me cherchait ? Maintenant, c’est moi qui te cacherai de la misère. Chacun doit te venir en aide, car ton fils souffre pour une affaire qui regarde tout le monde. C’est un brave garçon, tous le disent, et tous le plaignent. Moi, je prétends que ces arrestations ne porteront pas bonheur à la fabrique ; vois plutôt ce qui s’y passe ! On y entend de ces paroles, ma chère ! Les chefs pensent que l’homme qu’ils ont mordu au talon n’ira pas loin ! Et pourtant, il se trouve que, pour dix qui sont atteints, il y en a cent qui se fâchent ! Il faut prendre des précautions quand on veut toucher au peuple, il supporte longtemps, puis, un jour, il éclate !

Les deux femmes tombèrent d’accord. Le lendemain, à l’heure du dîner déjà, la mère de Pavel portait à la fabrique deux grandes terrines pleines de soupe que Maria avait préparée, tandis que, de son côté, la cuisinière se rendait au marché.


XV


Les ouvriers remarquèrent aussitôt la vieille femme. Les uns s’approchèrent d’elle en lui disant amicalement :

— Tu as trouvé de l’ouvrage, mère Pélaguée ?

Et ils la consolaient, lui assurant que Pavel serait bientôt libéré, qu’il était dans son droit. D’autres troublaient son cœur douloureux par de prudentes paroles de compassion ; d’autres encore invectivaient ouvertement le directeur et les gendarmes, et réveillaient en elle un écho sincère. Il y avait aussi des gens qui la regardaient avec un plaisir malveillant ; Isaïe Gorbov, ouvrier pointeur, dit en serrant les dents :

— Si j’étais gouverneur, je ferais pendre ton fils, pour lui apprendre à dérouter le peuple.

Ces mots la glacèrent d’un froid mortel. Elle ne répondit rien à Isaïe, elle jeta seulement un regard sur