Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/90

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— Mais elle aussi, elle a peur ! déclara Iégor. N’est-ce pas, Sachenka ?

— Oui ! répondit la jeune fille.

Pélaguée lui jeta un coup d’œil et s’exclama faiblement :

— Comme vous êtes courageuse !…

Après avoir pris le thé, Sachenka serra sans mot dire la main d’Iégor et s’en alla dans la cuisine, suivie par Pélaguée.

— Si vous voyez Pavel Mikhaïlovitch, saluez-le de ma part, dit la jeune fille.

Et elle avait déjà la main sur le loquet de la porte, mais, se retournant brusquement, elle demanda à mi-voix :

— Puis-je vous embrasser ?

Sans répondre, la mère la prit dans ses bras avec chaleur.

— Merci ! dit la jeune fille à voix basse.

Et elle sortit en secouant la tête.

Rentrée dans la chambre, la mère regarda avec anxiété du côté de la fenêtre. Dans les ténèbres épaisses et humides, tombaient lentement les flocons de neige à demi fondus.

Tout rouge et suant, Iégor était assis, les jambes écartées et soufflait bruyamment sur son thé ; il avait l’air satisfait.

La mère s’assit aussi et, jetant un regard attristé sur son hôte, dit lentement :

— La pauvre Sachenka ! Comment arrivera-t-elle ?

— Elle sera fatiguée ! dit Iégor. La prison l’a bien éprouvée ; elle était plus robuste auparavant… De plus… elle n’a pas été élevée à la dure… je crois qu’elle a déjà les poumons attaqués…

— Qui est-elle ? s’informa la mère à voix basse.

— La fille d’un propriétaire foncier. Son père est un homme riche et une grande canaille. Vous savez probablement qu’ils s’aiment beaucoup et qu’ils veulent se marier, grand-mère ?

— Qui ?

— Pavel et elle… oui ! Mais voilà, ils n’y parviennent pas… quand il est en liberté, c’est elle qui est en prison, et vice versa.