Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/93

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— Tout le monde en est réduit là ! répondit-elle avec un geste de la main. Peut-être est-ce plus facile pour ceux qui comprennent… Mais, moi aussi, je comprends un peu… ce que veulent les braves gens…

— Et, du moment que vous comprenez, grand-mère, vous leur êtes utile, à tous, à tous ! déclara Iégor d’un ton grave.

Elle lui jeta un coup d’œil et sourit.

Vers midi, l’air calme et affairé, elle glissa des brochures dans son corsage. En voyant avec quelle adresse elle les dissimulait, Iégor fit claquer sa langue de satisfaction et s’écria :

— Sehr gut ! comme disent les Allemands quand ils vident un tonneau de bière. La littérature ne vous a pas transformée, grand-mère, vous êtes restée une brave femme. Que les dieux bénissent votre entreprise !

Une demi-heure après, avec le même sang-froid et courbée sous le poids de son fardeau, la mère se tenait à la porte de la fabrique. Deux gardiens, irrités par les moqueries des ouvrières, avec qui ils échangeaient des injures, tâtaient sans ménagement tous ceux qui entraient dans la cour. Un agent de police se promenait non loin de là, ainsi qu’un individu aux yeux fuyants, aux jambes courtes, au visage rouge. La mère l’examinait du coin de l’œil tout en changeant sa palanche d’épaule ; elle devinait que c’était un espion.

Un grand gaillard aux cheveux bouclés, la casquette sur la nuque, criait aux gardiens qui le fouillaient :

— Cherchez donc dans la tête et non pas dans les poches, diables !

L’un des gardiens répondit :

— Tu n’as rien du tout dans la tête, sauf les poux…

— Hé bien, cherchez-les, c’est une besogne digne de vous ! répliqua l’ouvrier.

L’espion lui jeta un méchant coup d’œil et cracha à terre.

— Laissez-moi passer ! demanda la mère. Vous voyez, ma charge est pesante… j’ai le dos cassé !

— Va, va ! cria le gardien avec irritation. Ne parle pas tant…

Arrivée à sa place, Pélaguée posa ses pots de soupe à terre et regarda autour d’elle en essuyant la sueur de son visage.