Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/95

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— Merci de cette bonne parole ! dit la mère en souriant.

Il grommela en s’éloignant :

— Elle ne me coûte pas cher, cette bonne parole !

— Mais on n’a personne à qui l’adresser, répliqua un forgeron en riant.

Et il ajouta d’un air étonné, en haussant les épaules :

— Voilà la vie, mes enfants… on n’a personne à qui dire une bonne parole… personne n’en est digne… n’est-ce pas ?

Vassili Goussev se leva, et s’exclama en boutonnant soigneusement son pardessus :

— J’ai mangé chaud, et pourtant le froid me prend.

Puis il s’en alla ; son frère Ivan se leva aussi et s’éloigna en sifflotant.

La mère criait de temps en temps avec un sourire engageant :

— De la soupe chaude ! du vermicelle ! de la soupe aux choux !…

Elle se disait qu’elle raconterait sa première expérience à son fils. La face jaune de l’officier, irrité et stupéfait, se dessinait sans cesse devant elle ; les moustaches noires s’agitaient confusément, et, sous la lèvre supérieure, contractée par une moue de colère, brillait l’ivoire des dents serrées. Pareille à un oiseau, une joie aiguë frémissait et chantait dans le cœur de la mère ; ses sourcils remuaient et, tout en accomplissant son œuvre avec adresse, elle se disait :

— Tiens, en voilà encore… encore !


XVI


Toute la journée, elle éprouva un sentiment nouveau pour elle et qui lui caressait agréablement le cœur. Le soir, sa besogne achevée, et comme elle prenait son thé, le piétinement d’un cheval résonna sous la fenêtre et une voix connue retentit. La mère se dressa brusquement, s’élança à la cuisine, vers la porte ; quelqu’un venait à grands pas ; sa vue se troubla, elle s’appuya au montant et poussa la porte du pied.