Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/123

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— Tu vois !

Je demandais qui étaient ces « olontchane » et pourquoi ils erraient dans la forêt ; grand-père sans enthousiasme me donnait l’explication :

— C’étaient tout simplement des paysans qui s’étaient enfuis des usines et des champs, des paysans appartenant à la couronne.

— Et comment est-ce qu’on les traquait ?

— Comment ? Mais on faisait comme les enfants quand ils jouent : les uns se sauvent et se cachent ; les autres pourchassent et cherchent les premiers. Quand on attrapait un de ces malheureux, on le fustigeait, on lui donnait des coups de bâton, on lui déchirait les narines et on le marquait au front, pour bien montrer qu’il avait été châtié.

— Pourquoi ?

— Qui sait ! Ces affaires-là sont très compliquées et on n’a jamais pu comprendre qui était le coupable : de celui qui se sauvait ou de celui qui lui donnait la chasse.

— Te rappelles-tu, père, reprenait grand’mère, qu’après le grand incendie…

Mon aïeul, qui aimait la précision, l’interrompit sévèrement :

— Quel grand incendie ?

Mes grands-parents m’oubliaient en retournant dans le passé. Ils parlaient à mi-voix, leurs phrases se succédaient avec une telle harmonie qu’ils semblaient chanter une chanson, la mélancolique chanson des maladies, des incendies, des rixes, des morts subites et des adroites friponneries, des seigneurs méchants et des mendiants estropiés.