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Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/135

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Et il implore à haute voix la miséricorde divine, tandis que ses yeux se remplissent de larmes :

— Que la foi me tienne lieu d’œuvres, ô mon Dieu ; et ne recherche pas celles de mes actions qui ne me justifient pas…

Pour terminer, il se signe d’une manière convulsive et secoue la tête comme s’il voulait donner des coups de corne ; sa voix devient glapissante et larmoyante. Plus tard, quand je fréquentai les synagogues, je compris que grand-père priait comme un Israélite.

Depuis longtemps, le samovar chante sur la table ; l’odeur tiède des galettes de seigle et de la caillebotte flotte dans la pièce. J’ai faim. Grand’mère s’appuie d’un air maussade au montant de la porte et soupire longuement. À la fenêtre qui donne sur le jardin, le soleil brille gaîment et les gouttes de rosée étincellent comme des perles aux branches de nos arbres. L’air matinal est imprégné de la bonne senteur du fenouil, des groseilliers et des pommes mûrissantes. Grand-père qui prie toujours se balance, et glapit :

— … Éteins la flamme de mes passions, car je suis misérable et maudit !

Je sais par cœur toutes les prières du matin et toutes celles du soir ; aussi j’écoute avec attention pour reconnaître si d’aventure grand-père ne se trompera pas ? N’oubliera-t-il point quelque chose, ne fût-ce qu’un mot ?

Le fait se produisait très rarement d’ailleurs, mais chaque fois cette omission me remplissait le cœur d’une joie malveillante.