Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/171

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Encore tout bouleversé, je n’eus pas le temps de m’étonner de ses propos et je continuai à m’expliquer ; mais il me serra dans ses bras et, s’étant mis à arpenter la pièce en trébuchant, me coupa de nouveau la parole :

— Cela suffit, frérot, inutile de poursuivre. Tu as déjà dit tout ce qu’il fallait, comprends-tu ? Tout !

Je me tus, assez vexé ; mais, après un instant de réflexion, je compris avec une stupéfaction dont je me souviens très bien qu’il m’avait interrompu juste au bon moment.

— Ne t’arrête pas à ces choses-là, frérot ; il vaut mieux ne pas te les rappeler !

Il lui arriva souvent de proférer des phrases qui, toute la vie, restèrent présentes à mon esprit. Ainsi, comme je lui parlais de mon ennemi, un gros garçon à tête énorme nommé Kliouchnikof, le champion de la rue Neuve, qui n’arrivait pas plus à me vaincre que je ne parvenais à le battre, Bonne-Affaire écouta avec attention le récit de mes malheurs et m’expliqua :

— Tout ça, c’est de la sottise : la force comme tu la conçois n’est pas de la force. La vraie force est dans la rapidité des mouvements : plus on est agile, plus on est fort, as-tu compris ?

Le dimanche suivant, je jouai des poings avec vélocité et j’obtins la victoire sans peine, ce qui me détermina à suivre plus que jamais les enseignements de notre locataire.

— Il faut savoir prendre les choses, comprends-tu ? Et c’est très difficile.

Je n’avais pas compris, mais inconsciemment je me souvins de ces paroles et d’autres analogues,