Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/177

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Ses cheveux gris étaient longs et bouclés et sa barbe s’enroulait en anneaux ; il fumait la pipe, et la fumée du tabac, du même ton que ses cheveux, s’élevait de sa bouche en volutes blanchâtres. Il avait une façon très particulière de s’exprimer en phrases entortillées et sa voix bourdonnante paraissait amicale, mais il me semblait toujours que cet homme se moquait de tout le monde :

— Lorsque j’étais petit, racontait-il, la comtesse Tatiana Alexiévna, à qui j’appartenais, m’a ordonné : « Tu seras forgeron ! » Quelque temps après, elle a changé d’avis : « Tu aideras le jardinier. » C’est bon, je fus jardinier ; mais on a beau faire, les gens ne sont jamais contents ! Plus tard, elle m’a dit : « Piotre, tu iras pêcher ! » Cela m’était bien égal ; j’allai donc pêcher… À peine avais-je pris goût à ce travail-là qu’il a fallu dire adieu aux poissons ! Elle m’envoie en ville, comme cocher de fiacre ; quitte à lui payer une redevance en argent. Il faut faire le cocher ? Très bien ! Et après, madame ! Mais nous n’avons plus eu le temps de changer, ma comtesse et moi, car on a affranchi les serfs. Je suis donc resté avec mon cheval ; c’est lui qui remplace ma maîtresse.

Son cheval était très vieux ; on eût dit qu’il avait été blanc jadis et qu’un peintre ivre s’était amusé à le barbouiller de différentes couleurs, mais n’avait pas eu le loisir d’achever sa besogne. La bête avait les genoux cagneux, et sa tête osseuse aux yeux troubles pendait tristement, rattachée au poitrail par des veines gonflées et un peu de vieille peau élimée. L’oncle Piotre traitait avec respect l’animal qui