Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/181

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Il faisait placer Ignachka le bouffon à quarante pas de lui environ, après lui avoir attaché à la ceinture une bouteille qui pendait entre les jambes écartées. Le bouffon riait ; Mamonte Ilitch pressait sur la détente, et pan ! la bouteille volait en éclats. Seulement, un jour, Ignachka a bougé, peut-être un moustique le piquait-il, et la balle lui est entrée dans le genou en lui fracassant la rotule ! On a appelé le médecin, qui a tout de suite coupé la jambe qu’on a enterrée…

— Pauvre bouffon !

— Lui, il s’en est bien tiré ! Les idiots n’ont besoin ni de bras, ni de jambes ; leur stupidité suffit à les nourrir. Tout le monde les aime, car la bêtise est inoffensive. On le dit d’ailleurs : le diacre ni le greffier ne sont dangereux s’ils sont bêtes.

Piotre me traitait avec gentillesse ; il me parlait d’une manière plus simple qu’aux grandes personnes sans me cacher ses yeux, et malgré tout il y avait cependant en lui quelque chose qui me déplaisait. Quand il offrait sa confiture préférée, il en mettait une couche plus épaisse sur la tranche de pain qu’il me destinait ; il me rapportait de la ville des pastilles de réglisse, des gâteaux de graines de pavot, et m’interrogeait d’un ton sérieux et confidentiel ;

— Que ferons-nous plus tard, mon petit monsieur ? Seras-tu soldat ou fonctionnaire ?

— Soldat !

— C’est très bien. Maintenant le métier n’est plus très dur. D’ailleurs il l’est encore moins pour les popes qui n’ont, eux, qu’à, crier de temps en temps : « Seigneur, aie pitié de nous » et c’est tout. Mais la