Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/196

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je répétais les légendes et les contes de fée de grand’mère et, si j’oubliais quelque détail, je leur demandais d’attendre un instant. Je courais alors en hâte à la cuisine me renseigner auprès de mon aïeule, ce qui lui faisait toujours le plus vif plaisir.

Je parlais aussi beaucoup de grand’mère à mes petits camarades ; l’aîné, un jour, après avoir poussé un profond soupir, déclara :

— Les grand’mères sont probablement toutes très bonnes ; nous en avions aussi une que nous aimions beaucoup.

Il parlait souvent au passé et d’une voix si mélancolique qu’on lui eût donné cent ans et non pas onze. Je me rappelle qu’il avait des mains étroites et des doigts effilés ; toute sa personne était mince et fragile ; ses yeux très clairs mais très doux faisaient penser à la clarté des lampes éternelles qui brûlent à l’église. Ses frères, aussi sympathiques que lui, m’inspiraient le même sentiment de confiance illimitée ; je me sentais toujours prêt à leur faire plaisir ; mais c’était l’aîné surtout qui m’attirait.

Absorbé par la conversation, je ne voyais presque jamais venir l’oncle Piotre qui nous dispersait en clamant d’une voix traînante :

— En-co-re !

Ses accès de torpeur maussade devenaient de plus en plus fréquents ; j’appris, rien qu’à sa façon de pousser le portail, s’il était bien ou mal tourné quand il rentrait après son travail ; en général, il l’ouvrait sans se presser et elle grinçait avec lenteur ; mais quand il était de mauvaise humeur, les gonds lançaient un cri bref, comme un gémissement.