Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un sens spécial ; elles dissimulaient des événements tristes et importants dont il ne fallait pas parler mais que tout le monde connaissait.

Après avoir enlevé le cadre avec précaution, grand-père l’emporta et mon aïeule ouvrit toute grande la fenêtre : au jardin, un étourneau pépiait, les moineaux gazouillaient et l’odeur enivrante de la terre dégelée monta jusqu’à la chambre. Je sortis du lit.

— Ne marche pas pieds nus, recommanda grand’mère.

— Je veux aller au jardin.

— Tu ferais mieux d’attendre, c’est encore trop mouillé !

Mais je ne voulus pas l’écouter.

Au jardin, les aiguilles vert clair de l’herbe nouvelle pointaient ; les bourgeons des pommiers étaient gonflés, quelques-uns éclataient déjà ; sur la maisonnette de Petrovna, la mousse verdoyait agréablement. Il y avait partout beaucoup d’oiseaux et quantité de bruits joyeux ; mais cet air frais et odorant me donnait un peu le vertige. Dans le bas-fond où l’oncle Piotre s’était tranché la gorge se dressaient de hautes graminées rousses et sèches, cassées et emmêlées par la neige. C’était le seul coin où il n’y eût rien de printanier ; les bûches noircies luisaient mélancoliquement, et le creux tout entier était inutilisé et agaçant à regarder. J’eus tout à coup une envie rageuse d’arracher les herbes folles, d’enlever briques et poutres, de nettoyer tout ce qui était sale et superflu, et après m’être construit là une demeure proprette, de m’y installer pour l’été tout seul, loin des grandes personnes. Je me mis immédiatement à