Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/27

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de chauffer à la flamme d’une chandelle le dé du contremaître. Prenant les pincettes, Sachka, qui avait alors neuf ans, obéit et, sans être remarqué, déposa le dé rougi à portée de la main de Grigory ; cela fait, il s’en fut se cacher derrière le poêle. Grand-père arrivait juste à ce moment-là, et, sans perdre une minute, se mettant au travail, il planta son index dans le dé incandescent.

L’horrible cri qu’il poussa et le vacarme qui s’ensuivit me firent accourir en hâte à la cuisine, et je me rappelle que grand-père bondissait drôlement, secouait la main, portait à l’oreille ses doigts brûlés, et criait sur un ton aigu :

— Qu’avez-vous fait, sauvages ?

Penché sur la table, l’oncle Mikhaïl, du bout de l’ongle, poussait le dé sur lequel il soufflait pour le refroidir, tandis que le contremaître, lui, cousait sans s’émouvoir et que des ombres sautillaient sur son crâne dénudé. L’oncle Jacob accourut à son tour ; dissimulé derrière le poêle, il se mit à rire tout bas de la farce ; grand’mère râpait une pomme de terre crue.

— C’est ton fils, c’est Sachka qui a fait le coup ! déclara soudain l’oncle Mikhaïl.

— Menteur ! répliqua Jacob en surgissant derrière le poêle.

Dans un coin de la cuisine, mon cousin pleurait et protestait :

— Ce n’est pas vrai, papa ! C’est lui qui m’a ordonné de chauffer le dé !

Les deux oncles commencèrent à s’invectiver. Du coup, grand-père se calma ; il appliqua sur son doigt