Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/284

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dont les murs n’étaient pas tapissés. En outre, les rainures entre les poutres étaient garnies de touffes de filasse qui abritaient une quantité innombrable de blattes. Ma mère et mon beau-père occupaient les deux pièces situées sur la rue et grand’mère et moi nous dormions dans la cuisine dont la fenêtre ouvrait sur le toit. Les noires cheminées des usines se dressaient ironiquement, crachant vers le ciel des rubans épais de fumée que le vent d’hiver chassait sur tout le village. C’est ainsi que dans notre froid logis une odeur grasse de fumée stagnait constamment. Le matin, de bonne heure, la sirène hurlait comme un loup :

— Vo - ou - ou, ou, o - ou…

Quand on grimpait sur le banc, on apercevait, par delà les toits, les portes de la fabrique éclairées par des lanternes et béant comme la bouche d’un vieux mendiant édenté, une foule compacte de petits hommes s’y engouffrait sans discontinuer. À midi, la voix de la sirène se faisait entendre de nouveau et les mêmes portes vomissaient dans la rue leur noir torrent de petits hommes. Le vent échevelé qui se précipitait au-devant d’eux semblait les chasser, les bousculer et les jeter dans les maisons. On ne voyait que très rarement le ciel dans ce village ; un éternel dôme gris de nuages et de fumée pesait sur les toits sales des maisons saupoudrées de neige et de suie.

Le soir, le crépuscule rougeoyait au-dessus de l’usine, illuminant le sommet des cheminées, de telle sorte que celles-ci, au lieu de s’élever de la terre au ciel, semblaient au contraire descendre du nuage fumeux. À voir tout cela, des nausées me montaient