Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/74

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Elle se signe, se prosterne ; son grand front vient heurter le plancher, puis, se redressant, elle reprend d’un ton véhément :

— Ah ! si Varioucha voyait le bonheur lui sourire de nouveau ! Qu’a-t-elle fait pour t’irriter ? En quoi est-elle plus coupable que les autres ? Voilà une femme jeune, bien portante, et elle vit dans l’affliction… Aie aussi pitié de Grigory, mon Dieu, sa vue baisse chaque jour davantage ! S’il devenait aveugle, il faudrait qu’il mendie et ce serait affreux ! Il a usé ses forces à travailler chez nous, et qu’est-ce que grand-père fera pour lui ? Ah ! Seigneur ! Seigneur !…

Longtemps, elle garde le silence, baissant la tête avec résignation.

— Et quoi encore ? se demande-t-elle tout haut, en fronçant le sourcil.

Et elle continue :

— Aie pitié de tous les orthodoxes, sauve-les. Et pardonne à la maudite bête que je suis. Tu sais que, si je pèche, ce n’est point par méchanceté, mais par sottise.

Après avoir poussé un profond soupir, elle reprend d’une voix caressante et satisfaite :

— Tu sais tout, Père, tu connais tout !

Le Dieu de grand’mère, qui lui était si proche, si familier, me plaisait beaucoup, et je demandais souvent à mon aïeule :

— Raconte-moi quelque chose sur Dieu…

Elle parlait de Lui les yeux mi-clos, traînant sur les mots, d’une voix très basse ; en outre, quand elle entamait le sujet, elle s’asseyait sur le lit, jetait un