Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de ses longues nattes satinées que j’enroulais autour de mon cou et, sans bouger, j’écoutais avec ravissement ses interminables histoires qui jamais ne m’ennuyaient.

— Il n’est pas donné aux hommes de voir Dieu ; ils seraient frappés de cécité. Les saints, eux, peuvent le contempler face à face. Par contre, les anges se montrent aux gens qui ont l’âme pure. J’étais à l’église, à la première messe, et j’en ai vu deux un certain jour : ils étaient lumineux, lumineux et transparents comme des nuages, leurs ailes touchaient terre ; on eût dit qu’elles étaient en mousseline, ou en dentelle. Ils tournaient autour de l’autel et venaient en aide au vieux père Ilye, levant ses faibles bras, lui soutenant le coude. Peu après ce digne homme est mort, car il était très âgé et aveugle. Le jour où j’ai aperçu les anges, j’en ai été toute saisie ; j’étais si heureuse ! que c’était beau ! Oui, Alexis, tout est bien, sur la terre et au ciel…

— Est-ce que vraiment tout est bien chez nous ?

Et grand’mère répondait en se signant :

— Tout est bien, gloire à la Sainte Vierge !

Cette réponse me troublait : il m’était difficile de reconnaître que chez nous tout allait bien ; il me semblait, au contraire, que la vie devenait de plus en plus pénible dans notre maison. Une fois, en passant devant la porte de la chambre habitée par l’oncle Mikhaïl, j’avais entrevu, tout en blanc, la tante Nathalie qui tournait dans la pièce sans s’arrêter. Les mains jointes sur la poitrine, elle s’exclamait sur un ton terrifiant et d’une voix continue :

— Seigneur, prends-moi, enlève-moi d’ici !