Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/81

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leur bonnet ; il passa ainsi sept équipages, comme des chars de pompiers, et les chevaux étaient tous moreaux et c’étaient tous des êtres humains que leurs parents avaient maudits ; les démons se servent de ces gens-là comme de jouets et les emploient comme monture pour se rendre la nuit à leur sabbat. C’était probablement à une noce de démons que j’avais assisté !

Impossible de ne pas croire grand’mère : elle parle avec tant de simplicité et de conviction. Mais où elle excellait, c’était quand elle récitait certains poèmes exposant l’histoire de la Vierge, qui, parcourant la terre, pour se rendre compte des misères humaines, exhorta la princesse Engualitchef, chef d’une bande de brigands, à ne plus massacrer et dépouiller le peuple russe. Elle débitait aussi des légendes en vers sur Alexis le saint homme de Dieu, sur Ivan le guerrier ; elle connaissait également l’histoire de la sage Vassilissa, du Prêtre-Bouc et du Filleul de Dieu, des récits terrifiants sur Martha la Mairesse et sur Baba Ousta, une autre femme chef de pillards, enfin elle pouvait narrer encore les aventures de Marie la pécheresse égyptienne et quantité d’autres contes, récits et poésies populaires.

Une chose pourtant m’étonnait plus que tout cela. Bien que ne craignant ni les gens, ni grand-père, ni les démons, ni les forces impures, grand’mère était bouleversée et terrifiée par les blattes noires dont elle devinait toujours la présence, même lointaine. Parfois, la nuit, elle me réveillait et chuchotait :

— Alexis, entends-tu, mon petit, il y a une blatte, écrase-la pour l’amour de Dieu !