Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/86

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Elle se jeta sous les pieds de la bête cabrée et se plaça les bras en croix devant elle. Charap poussa un gémissement plaintif et tendit le cou en louchant vers la flamme.

— N’aie donc pas peur ! proféra grand’mère d’une voix mâle.

Et, tout en lui tapotant le cou, elle saisit la bride et continua :

— Crois-tu que je te laisserai ici ! Ah ! gros nigaud… petite souris…

Et la « petite souris », trois fois plus grosse qu’elle, la suivit docilement jusqu’au portail.

Eugénie sortit de la maison avec les enfants emmitouflés et glapissants :

— Je n’ai pas trouvé Alexis ! déclara-t-elle.

— Va-t’en, va-t’en ! répondit grand-père en agitant la main.

Je me cachai sous les marches du perron, afin de n’être pas emmené par la bonne.

Déjà, le toit de l’atelier s’effondrait, et les minces chevrons se dressaient vers le ciel ; à l’intérieur de la bâtisse, des tourbillons verts, bleus, rouges fusaient avec des crépitements ; les flammes en gerbes tombaient dans la cour, sur les gens assemblés devant l’immense foyer qu’ils essayaient d’étouffer sous des pelletées de neige. Les marmites bouillonnaient avec furie ; la fumée et la vapeur s’élevaient en nuages épais ; des odeurs bizarres se répandaient et picotaient les yeux ; je sortis de mon refuge et roulai dans les jambes de ma grand’mère.

— Ôte-toi de là ! m’ordonna-t-elle, ôte-toi de là, ou tu seras écrasé.