Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/96

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verras l’oncle Mikhaïl, viens nous prévenir tout de suite. Va, va…

Un peu effrayé à l’idée de l’irruption imminente de la brute surexcitée, et fier en même temps de la mission dont on m’a chargé, je me penche à la fenêtre et j’examine la rue : elle est large, couverte d’une couche épaisse de poussière dans laquelle les gros cailloux font des bosses. À gauche, très loin, après avoir franchi le ravin, elle aboutit à la place de la Maison de force, où s’érige la vieille prison, édifice grisâtre flanqué d’une tour à chacun de ses quatre angles. Elle a quelque chose de mélancolique et de beau. À droite, trois maisons seulement nous séparent de la vaste Place au Foin, barrée par la caserne des bataillons disciplinaires et le beffroi couleur de plomb du bâtiment des pompiers. Autour de la guérite, percée d’ouvertures, le veilleur tourne comme un chien attaché à sa chaîne. Plus loin, je distingue l’étang croupissant de Dioukof, dans lequel, ainsi que me le raconta grand’mère, mes oncles naguère firent un trou dans la glace pour y jeter mon père. Presque en face de la fenêtre s’ouvre une ruelle bordée de petites maisonnettes bariolées ; elle s’appuie à l’église des Trois-Évêques, qui est large et basse. Quand on regarde droit devant soi, on aperçoit les toits qui ressemblent à des barques renversées flottant sur les vagues vertes des jardins.

Les maisons de notre rue, effritées par les tempêtes des longs hivers et délavées par les interminables pluies d’automne, sont poudrées de poussière ; serrées les unes contre les autres comme les mendiants sur le parvis de l’église, elles aussi, elles