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aucun parti dans la grande mêlée des opinions contraires[1], de s’abstenir absolument et de réaliser par cette abstention la plus entière tranquillité d’âme. Voilà le second caractère du pyrrhonisme : le doute n’est pas seulement un principe de spéculation philosophique, il est une excellente règle de conduite. C’est le dernier mot de la sagesse[2]. Pascal a bien saisi et dépeint ce côté pratique du pyrrhonisme, quand, parlant de Montaigne, il dit : « Sa règle d’action étant en tout la commodité et la tranquillité… sa vertu suit ce qui le charme et badine négligemment avec des accidents bons ou mauvais, couchée mollement dans le sein de l’oisiveté tranquille, d’où elle montre à ceux qui cherchent la félicité avec tant de peines, que c’est là seulement où elle repose, et que l’ignorance et l’incuriosité sont deux doux oreillers pour une tête bien faite, comme il le dit lui-même. »[3].

Et maintenant, nous disons avec Cousin : « Reste à savoir si le scepticisme, tel que nous venons de le définir, est ou n’est pas dans Pascal. »

Nous commençons par faire une concession. Nous le reconnaissons : Pascal s’enfonce d’abord en plein pyrrhonisme. Comme la célèbre école sceptique, il enferme le sujet en lui-même, et si bien qu’on se demande comment et par quelle issue il lui sera possible de l’en faire sortir. Il déclare qu’il y a en l’homme une incapacité de saisir la vérité et le bonheur invincible à tout dogmatisme. Les

  1. παντὶ λόγῳ λόγον ἴσον ἀντικεῖσθαι
  2. E. Saisset. Le Scepticisme, p. 51-55.
  3. Entretien avec de Saci. Havet. I. cxxxii.

    « Oh ! que c’est un doulx et mol chevet et sain, que l’ignorance et l’incuriosité, à reposer une teste bien faicte. »

    Montaigne. Essais III. 13.