Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/146

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chapeau auquel il ne manquait qu’un panache — et encore il semblait vraiment que le panache se dressât vers le ciel ou se courbât sous le vent, tant la tête altière, les longs cheveux, la moustache relevée, donnaient un port superbe à cette coiffure. Oui, le panache y était, nous l’y avons vu, je vous jure, quand André Gill passait, ample, la poitrine bombée, soulignant d’un grand geste large ou arrondi ses phrases pompeuses et imagées. Oui, mousquetaire ! Non point peut-être par vocation d’orgueil, ni par mépris pour le reste des humains. Non certes : ceux qui le connurent le mieux ont tous déclaré qu’au fond Gill était un timide. Cette timidité, il la dissimulait sous une grande éloquence apprêtée. Sa pose — ce que les envieux appelaient sa pose — n’était que l’effort d’un mouton enragé. Cette âme de doux artiste est morte de ce disparate.

Il suffit, pour se convaincre de cette dualité de Gill, de comparer les phrases monumentales, les étranges rodomontades demeurées célèbres, et dont il écrasait ses concitoyens, avec certaines poésies publiées au jour le jour, et recueillies plus tard sous ce titre : la Muse à Bibi.