Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/24

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Le café devient ainsi la succursale, ou mieux, l’antichambre des bureaux de rédaction.

Car il y a toujours, devers le boulevard Saint-Michel, un journal littéraire, quelquefois deux, qui donne le ton. À cette époque reculée (1874-1875), la petite revue, chargée des destinées poétiques de la rive gauche, s’appelait la Renaissance, dirigée par le poète Émile Blémont. Je lisais attentivement ce recueil où les différentes écoles poétiques d’alors se coudoyaient et parfois se rudoyaient, témoin un article intitulé « les Vieux Ratés », dans lequel Jean Richepin attaquait précisément plusieurs des collaborateurs de la Renaissance. Avec l’intransigeance de la jeunesse, il considérait alors comme de véritables ancêtres, mathusalémiques, vieilles barbes, fossiles, caducs et sentant déjà le cercueil, ceux qui avaient écrit sous l’Empire avant la date cabalistique et noire de 70. L’un des poètes attaqués, blond parnassien de trente-cinq ans, riposta : « Raté ? peut-être ; mais vieux ? allons donc ! »

Néanmoins, on se sentait un peu révolutionnaire dans le clan des nouveaux, de ceux d’après la guerre ; il semblait qu’un fossé se fût élargi entre deux époques parfaitement