Page:Goudeau - Poèmes ironiques, 1888.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Déshérités fils d’Apollon !
Comme toi, divine éblouie,
Nous avons la boue au talon,
Et sur les épaules la pluie ;
Traînant sous le ciel des hivers
Nos chansons, musiques et vers,
Guettant à tort et à travers
Plus d’une illusion enfuie.

Nos mains tripotent aux tripots,
Nos cœurs appartiennent aux gouges
Comme nos cervelles aux pots,
Dans la brume épaisse des bouges.

Là, dans des creusets fort étroits
Nous jetons nos sceptres de Rois,
Comme de vils fagots de bois…
Souvent nos pommettes sont rouges.

Mais avec le rêve en lambeau
Notre âme, jadis printanière,
Sait encor fabriquer du beau,
Dans le centre de la tanière ;
Ainsi toi, du fond des égouts
Et des tuyaux fermés de clous,
Dans l’infect Paris du dessous
Tu fabriques de la lumière.

Mais qu’importe que le destin
Nous ait sevrés de l’ambroisie !
Nous savons porter le matin
Dans le royaume de la suie !
C’est dans le cercle du sommeil
Comme un crépuscule vermeil,
Et c’est encore le soleil,
Et c’est toujours la Poésie.

Qu’importe que ton clair Rayon
Sorte d’un piédestal de boue ?
Qu’importe que sous son haillon,
En chantant, Homère s’enroue ?
Le poète est un fils de dieu :
S’il a souillé son manteau bleu,
Il n’a qu’à le brosser un peu,
Et c’est de l’azur qu’il secoue.