Page:Goudeau - Poèmes ironiques, 1888.djvu/9

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— Oui, messieurs, la Science procurera à la souffrante humanité le triomphe définitif.

Elle a déjà beaucoup fait : elle a dompté le temps et l’espace. Nos chemins de fer, nos télégraphes, nos téléphones, ont supprimé la distance. Si nous arrivons, comme le docteur Pastoureaux semble le prévoir, à démontrer que nous pouvons mettre de l’intelligence en nos machines, l’homme se sentira à jamais délivré des travaux serviles.

Plus de serfs, plus de prolétaires ! tous deviendront bourgeois ! La machine esclave délivrera de l’esclavage nos frères d’en bas et leur donnera droit de cité parmi nous.

Plus d’infortunés mineurs obligés de descendre sous la terre au péril de leur vie, la machine infatigable et éternelle y descendra pour eux : la machine pensante et agissante, non souffrante du labeur, bâtira, sous notre commandement, les ponts de fer et les palais héroïques ; c’est elle, la machine docile et bonne, qui retournera les sillons. Eh ! messieurs, il m’est permis, en présence de cette admirable découverte, de me faire un instant prophète. Un jour viendra où, toujours courant de ci de là, les machines se transporteront seules, comme des pigeons voyageurs du Progrès : un jour peut-être, ayant reçu leur complémentaire éducation, elles apprendront à obéir sur un simple signe, de telle sorte que l’homme, assis, paisible et fort, au sein de la Famille, n’aura qu’à appuyer sur un signal électro-vitalique afin que la machine sème le blé, le récolte, l’emmagasine et en fasse du pain qu’elle apportera sur la table de l’Homme, devenu enfin Roi de la Nature. Dans cette épopée olympienne, les animaux, eux aussi, délivrés de leur part énorme de travaux, pourront applaudir de leurs quatre pieds (émotions et sourires) ; oui, messieurs, car ils deviendront nos amis, après avoir été nos souffre-douleurs. Le bœuf devra toujours servir à fabriquer le potage (sourires), mais, du moins, il n’aura point souffert auparavant.

Je bois donc au docteur Pastoureaux, au libérateur de la matière organique, au sauveur du cerveau et de la chair sensible, au grand, au noble destructeur de la souffrance ! »

Le discours fut vivement applaudi.

Seul, un savant jaloux jeta ce mot :

— Cette machine aura-t-elle la fidélité du chien ? la docilité du cheval ? ou même la passivité des machines actuelles ?

— Je ne sais, répondit Pastoureaux, je ne sais.

Et, subitement plongé dans une scientifique mélancolie, il ajouta :