Page:Gouges - L Homme genereux.pdf/14

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donc le pouvoir invincible de la beauté ? Je bravois depuis long-tems ce ſexe frivole ; j’avois fait vœu de ne pas me laiſſer ſubjuguer par ſes charmes. Faut-il qu’une ſeule entrevue me faſſe oublier ainſi toutes mes réſolutions ? Ah ! que la raiſon reprenne ſon empire, cherchons le bonheur dans les charmes de l’amitié ; occupons-nous du ſoin de rendre heureux tout ce qui nous environne… ; baniſſons le ſouvenir de l’adorable Marianne : mais puis-je effacer de mon eſprit ſes graces touchantes, ſes traits enchanteurs, ſon maintien noble & ſimple ? Non, jamais je n’ai vu d’objet plus digne de plaire ; tout ce que l’on voit d’admirable & d’intéreſſant ſe trouve réuni dans elle… Je crains que Madame de Valmont, cette jeune veuve, ne ſe ſoit apperçue de mon trouble. Vertueuſe autant qu’aimable, inſtruite par le malheur dans le cours de ſa premiere jeuneſſe, elle n’en eſt que plus ſenſible au ſort des infortunés : devenue philoſophe pour elle-même, & ſans ceſſe occupée à ſoulager les maux d’autrui, elle a renoncé au tourbillon du monde, pour ſe livrer aux charmes de la littérature ; & badinant avec grace ſur les erreurs de l’âge, elle ſe croit aſſez vieille, dit-elle, pour devenir Auteur ; elle protege Marianne, qui ſans doute a mérité ſon eſtime. Cette jeune perſonne ſemble annoncer, par la ſimplicité de ſes vêtemens, qu’elle eſt dans l’indigence : ſi je pouvois adoucir ſon ſort… ! Mais je crains que mes intentions ne paroiſſent ſuſpectes, je n’oſe pas même faire des queſtions à Madame de Valmont… N’importe, duſſai-je lui avouer l’impreſſion que Marianne a produite ſur moi, je veux connoître ſon état… Je lui demande un rendez-vous par cette lettre ; faiſons-la lui remettre dans le moment… Germeuil, holà… ; il n’arrive pas… ; ce maraud ſe fait toujours attendre… Germeuil ! Germeuil !