Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/176

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— Le château appartient à un riche industriel alsacien, M. Freeman. Nous l’avons réquisitionné pour camper. Le pays est conquis. »

Michelle soupira ; elle se laissa conduire à la splendide salle à manger, où un excellent souper était préparé.

Tous les officiers se levèrent à son approche, lui firent place, et elle dut s’asseoir entre eux, manger et boire, au milieu de ce luxe français, les mets réquisitionnés à ses compatriotes.

Les militaires parlaient gaiement, victorieux, ravis de leur conquête, ils portaient des toasts, et Michelle ne pouvait parvenir à avaler, la gorge étranglée, à bout de force, prête à la révolte, au combat, et brisée sans cesse en son élan par la plus fausse des situations humaines.

Quand on vint lui dire que sa voiture était prête, elle s’élança heureuse de sortir de ce milieu odieux. Tous les convives se levèrent, s’inclinant très bas, devant la femme de leur chef, et l’aide de camp lui offrit son bras, pour descendre le perron. Sur le seuil, elle croisa une femme vêtue de deuil, à l’aspect triste et digne. Michelle devina en elle la maîtresse de maison, l’hôtesse forcée de ces Allemands. Elle voulut lui parler ; lui exprimer, par un mot sympathique, son regret d’avoir un peu pris part à l’invasion de sa demeure ; mais l’autre la regarda fièrement et, sans répondre, passa.

Encore un coup ! Michelle ne les comptait plus. Son voyage repris lui fut un soulagement.

Partout, sur son passage, la guerre horrible avait mis son empreinte, des fermes arboraient, à leur pignon, le drapeau de la croix de Genève. Ce fut vers l’une d’elles, que l’officier d’ordonnance, monté près du cocher, dirigea l’attelage. Le cœur de la