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Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/264

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Elle cessa de parler, non d’absorber les mets nombreux offerts à son robuste appétit. Michelle distraitement se servait, sa bonne nature ressaisissait son empire, les douces inspirations de toute sa vie revenaient prendre possession de sa pensée. Elle se disait qu’en effet son mari, atrocement blessé deux fois, en gardait sans doute au cerveau la dure empreinte, que l’équilibre rationnel peut-être même était détruit et, qu’alors en effet, elle devait être indulgente, bonne, sans s’occuper de justice ni de revendications, puisque, peut-être, il n’était pas toujours entièrement conscient.

Elle se leva de table avant le dessert.

« Je vais près de lui, expliqua-t-elle à Edvig, je vous assure que je lui suis bien trop sincèrement attachée pour ne pas essayer d’amoindrir au lieu d’aggraver ses douleurs. »

Edvig, sans répondre, continua son repas, et Michelle sortit aussitôt. Elle ne frappa pas à la porte de son mari, elle entra doucement, sans bruit ; il était accoudé sur sa table de travail, des assiettes remplies de victuailles intactes demeuraient devant lui, son valet de chambre, debout, la serviette roulée à la main, attendait sans mot dire. Michelle le congédia :

« Je servirai moi-même M. le comte allez. »

Quand le domestique eut refermé la porte, elle s’approcha de son mari, mit doucement sa main sur le front du malheureux, appuya sa pauvre tête dolente sur sa poitrine. Hans avait le visage brûlant, ses cheveux déjà étaient blancs sur les tempes, ses paupières attestaient une montée de larmes :

« Comme vous m’avez fait de la peine !

— Oh ! nous sommes quittes, nos parts se valent bien. »

Il prit le poignet bleui de sa femme, le regarda longuement, puis :

« Moi, je m’emporte vite, je suis brutal comme un vieux soldat, pourquoi vous amuser à m’irritez ?