Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/3

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— Et il est aussi marchand de bœufs… »

La mère eut un sourire navré et, avec des larmes dans la voix, elle voulut feindre un peu de gaieté.

« Les patriarches étaient pasteurs. Le premier état de l’homme, celui que dicta la nature, était l’élevage des animaux.

— Il y eut des rois pasteurs, dit la jeune fille ; Abraham et Jacob élevaient les troupeaux, mais ils ne les vendaient pas.

— Ils les échangeaient, ma fille, et c’était un trafic quand même. »

Un silence tomba sur ces mots. La discussion oiseuse n’était qu’apparente, au fond l’une et l’autre restaient convaincues : Il fallait du pain.

« Alors, reprit la mère, répondant à leur pensée commune, j’ai dit à Pierre Carlet de venir ce soir ; si tu daignes l’agréer, tu lui tendras la main… et puis songe, ma chère Jane, que par ce geste banal tu donneras aussi ton cœur, ton être ; cet homme, tu ne le regarderas plus comme au-dessous de toi, tu lui devras l’égalité ; ses sentiments, s’ils n’ont pas dès le début la délicatesse des nôtres, s’affineront à ton contact et, la grâce divine aidant, tu gagneras du bonheur. Jane, il faut regarder de très haut le devoir de vivre, se dire que notre passage sur terre doit nous mériter le ciel, et que le plus ou le moins de joies n’est rien en face de l’éternité. Dieu est le père de tous. Il ne fit pas deux races. »

Jane avait caché dans ses mains son visage ; des larmes filtraient entre ses doigts, larmes d’émotion plutôt que d’amertume, car, en son jeune cœur, naissait le désir