yeux toujours rivés sur l’arme, qu’elle avait posée sur la table. Et tout à coup elle cessa de sourire, ses joues pâlirent, elle s’appuya au dossier de son lit :
« Mais, dit-elle, il ne l’a plus, son fusil ; il est rentré sans arme au camp, que va-t-il advenir pour lui ? On cherchera où il est allé ? Avait-il une permission ?… Mon Dieu ! mais c’est le Conseil de guerre, cette affaire. Mon Henri au Conseil de guerre, jugé par des Français ? Est-ce que je puis souffrir cela, moi !
Cette arme est peut-être pour nous le gain d’une guerre, mais sa perte peut aussi coûter la vie à mon neveu ! »
Elle s’écroula à genoux.
« Que faire ? Que devenir ? Le devoir, où est-il ? »
Donner le fusil à son pays, montrer son excès de patriotisme en sacrifiant son enfant bien-aimé… ou ne rien dire, laisser la Prusse se défendre avec ses propres armes et sauver l’honneur de son Henri. Elle sanglotait. Ses yeux suivaient avec angoisse l’aiguille de la pendule, le temps courait.
Dans le foyer le feu mourait, l’horloge de l’église sonnait lentement minuit. Alors Edvig se leva, les mains tremblantes, le front barré d’une grande ride, courbée en deux d’une douleur violente, elle jeta sur ses épaules une mante sombre, et cacha dessous, comme une voleuse, le fusil français. Puis, d’un pas rapide qui lui arrachait des plaintes malgré sa force de volonté, elle alla dans la nuit noire. Où allait-elle ? À peine le savait-elle, l’instinct devait la guider. Son enfant ne pouvait pas mourir de la mort des traîtres, nul ne devait savoir où son arme perdue avait passé la nuit. Elle allait la rejeter à la frontière, en terrain français.
Il faisait un froid glacial sur le pont. Elle le franchit, s’appuyant au parapet, cassée