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Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/10

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Stofflet lâcha le récepteur, le mort venait de tomber sur lui, faisant dégringoler sa lorgnette, un obus l’avait atteint en plein corps, il avait servi de bouclier au vivant, et ses restes déchiquetés descendaient de branche en branche. Le caporal frissonnait :

— Qu’est-ce que je fais là, maintenant ? Mon fil est brisé, ma lorgnette perdue... Mais il me reste mes yeux et puis, c’est l’ordre !

Il se recala comme il put ; un vent de tempête venu de l’Ouest le balançait, le soleil arrivé au ras de l’horizon lui envoyait un rayon rouge et, dans toute la longueur du rayon, les flaques d’eau semblaient du sang.

CHAPITRE II

ENTERRÉS VIFS

Ravenel et sa compagnie avaient sauté comme une trombe dans la tranchée, et ces Français qui, en d’autres temps, auraient tendu la main à ces autres hommes vêtus d’uniformes gris les sabraient à tour de bras, féroces, implacables, rageurs, blessés ; mais, le sentant à peine, ils se grisaient de carnage, les plus doux transformés en sauvages par l’ambiance^ altérés de sang.

Le capitaine maintenant s’enfonçait dans le boyau, il voulait y mettre une mine, détruire le repaire ; soudain, derrière lui, il y eut un fracas suivi d’un éboulement. Il ressentit une rude commotion, puis rien ; silence de mort. Il était plein de terre, le boisage, au-dessus de lui, s’affaissait lentement, un gros paquet en tombant obstrua la faible clarté. Une nuit opaque l’enveloppa.

— Suis-je donc au tombeau ! songea l’officier.

Une vision, comme un éclair, lui montra son foyer si doux : sa femme, son fils !

Il se secoua, fit jaillir la lumière de sa lampe de poche. Il était dans une excavation, un cul-de-sac que l’éclatement d’une grosse marmite avait fermé dans toute sa largeur.

— S’il n’y a qu’une mince épaisseur à percer, se dit-il, j’en sortirai.

Il se mit à gratter la terre, jetée en lourdes mottes ; au premier geste, il perçut une plainte, alors il s’acharna, et dégagea la moitié supérieure d’un homme. A la faible clarté de sa lampe, il entrevit deux yeux ardents fixés sur lui et le bras dégagé s’éleva :

— Je suis blessé à mort... enterré vif, laissez, camarade... la besogne du fossoyeur est moitié faite. Seulement, par pitié, écoutez-moi !

— Je vais d’abord vous sortir de l’écrasement.

— Inutile, j’ai les jambes broyées, le sang s’écoule, le moindre mouvement m’achèverait ; j’ai encore quelques minutes, en grâce, entendez-moi...

— Parlez, camarade ; si je me sauve... j’accomplirai vos dernières volontés.

— Je vous vois mal, je souffre tant... Et ce n’est rien auprès de ma torture morale. Seriez-vous prêtre, Monsieur ?

— Non, mais je suis croyant, et je vous assure que le bon Dieu accueille bien ceux qui meurent en défendant leur patrie.

— Pas quand ils ont commis des crimes...

— Toujours, quand ils se repentent.

— Mais il faut réparer... Je ne le puis plus. Monsieur, voulez-vous entendre ma confession ?