Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/34

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— C’est la seule chose à faire, capitaine.

— Stratège en herbe ! Couche-toi dans ma couverture et repose-toi jusqu’à l’heure...

René ne se fit pas répéter l’invitation, il était las avec une terrible envia de dormir ; il s’enroula dans la laine tiède, et cinq minutes plus tard il rêvait...

D’un clocher très lointain deux lentes vibrations sonores épandirent leurs ondes jusqu’au bois où s’agitaient les hommes éveillés, et dont les gestes silencieux préparaient les outils de mort.

Sur la route noire une fusée rouge avait monté.

Un bruit formidable fit bondir René comme le petit jour blafard se levait.

Toutes les pièces tonnaient, la terre tremblait, un artilleur lui criait :

— Mais nom d’un chien, ôte-toi de là ! la pièce recule à chaque coup.

René, ahuri, revenait de fort loin, du pays inconnu où nous mènent les songes. Il fut un moment avant de comprendre, mais l’artilleur, l’enlevant avec sa couverture, le jeta comme une balle dans les branches basses d’un sapin.

Au-dessus de lui pendaient deux jambes guêtrées de fauve, surmontées d’un buste dont les bras levés tenaient une lorgnette et d’où il sortait une voix commandant le tir.

René secoua ses habits panachés d’aiguilles rousses piquantes et sèches, et grimpa dans l’arbre. Ce qu’il vit le terrifia :

A chaque coup de canon les hommes tombaient comme l’herbe au pré sous la faux, leurs cris dominaient le tumulte, les stridences, les éclatements. Autour de lui, sur les branches, il entendait comme une averse de grêle ; un instant l’offîcîer se retourna surpris de sentir ployer la branche sur laquelle il s’appuyait ; il cria :

— Descends ! mais descends, tu en veux donc ?

— Vous y êtes bien, vous !

— Faut que j’y sois, moi ! Sauve-toi, petit, c’est pas la place des enfants, ici !

— Mon capitaine, je vois les Boches, ils s’en vont en débandade...

— Là ! j’en ai !... Les cochons, ils m’ont démoli le coude.

Son bras tombait le long de lui :

— Attrape la lorgnette, dit-il, attrape au bout de mes doigts. Et puisque ten veux aussi, eh bien, regarde, et répète-moi ce que tu vois.

— Ils tournent à droite, des soldats traînent une pièce, un de nos obus les couche. Ah !

— Quoi ? tu es touché ?

Un éclatement formidable marqua l’explosion...

— Non. Une bombe sur le caisson ! cela fuse...

L’officier et son jeune compagnon reçurent dans la figure des éclaboussements de chair et de sang chauds... et le feu se mit à crépiter dans les hautes branches au-dessus d’eux.

— A terre, vite, on va griller là-dedans.

René, leste comme un écureuil, fut à terre en un clin d’œil, l’officier blessé y parvint à grand’peine, son bras inerte le gênait, une flammèche tomba dans le cou de l’enfant :

— Cessez le feu !

L’ordre fit obéir les artilleurs, mais le bois continua à flamber, éclairant a giorno toute la plaine. Les ennemis fuyaient en désordre, décimés. Les blessés agonisaient dans les flammes. René, les poings sur ses yeux brûlants, sanglotait.

— C’est moi ! moi ! qui ai déchaîné ces horreurs !