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Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/55

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lui faisait vis-à-vis et où il voyait des lits de camp chargés d’une couverture grise.

— Votre numéro ? dit le garde à l’entrée.

René montra sa fiche et voulut passer, mais un gémissement de Mousson le fit retourner, le garde lui avait allongé un coup de pied.

— Laissez donc mon chien !

— Le dortoir n’est pas fait pour les chiens.

— Il ne peut pourtant pas coucher dehors par ce froid.

L’autre haussa les épaules en récidivant son geste à l’egard du malheureux animal qui s’obstinait à suivre son maître.

Ce dernier ressortit aussitôt.

— Décidément, murmura-t-il, je me souviendrai de l’accueil allemand. Où allons-nous aller, mon pauvre Mousson ?

En ce moment, les gardes fermaient la haute grille à fers de lances dorés qui barrait l’entrée d’honneur.

René se glissa dans l’enceinte avec son chien.

— Votre numéro ? lui cria-t-on.

— Encore ! Voilà : 45.

On le laissa aller ». Une idée heureuse venait de jaillir en son esprit : l’auto ! Nous allons dormir dans l’auto ! sous de bonnes peaux de loups. Au petit jour, nous nous sauverons ; grâce au bienheureux 45, toutes les portes me seront ouvertes.

Le petit Français se coula dans la voiture, en compagnie de Mousson, et s’y installa de son mieux.

— Ah ! Monsieur de Lannoy, de votre temps le pèlerin et le passant devaient avoir ici le gîte et la table, mais votre temps est loin…


XVIII

DANS LES BOIS

Dès l’aube, notre petit Français, endormi dans le palais, presque sous le même toit que le kaiser ennemi, s’éveilla. Il avait pris i’habitude des étapes variées, des sommeils en de singulières chambres à coucher ; celle-ci était en somme assez confortable, les coussins moelleux en cette voiture de luxe, réquisitionnée évidemment à quelque personnage ami du bien-être. Sur les portières étaient gravés des couronnes et des blasons ; seulement René ne connaissait rien à l’art héraldique.

Il bondit avant qu’il fût jour, se rappelant que Werner avait son audience pour 4 heures du malin. Or, il était fort possible qu’après il lui enjoignît de repartir. Ah ! non, cette fois il ne fallait plus retourner le visage vers la France avant que sa mission fût accomplie.

Il ouvrit facilement le rideau de fer qui renfermait les automobiles, d’autant mieux qu’un autre-chauffeur se préparait à partir avec sa voiture.

René s’élança dans le parc, suivi de son chien bondissant. L’éclairage était plus sommaire que la veille au soir. L’enfant se jetait autant que possible dans l’ombre des massifs épais de houx et de lauriers.

En haut, dans le ciel blafard, quelques aviatiks couraient, semblables à des étoiles filantes. La grille était déjà ouverte, les factionnaires à leur poste. Ils arrêtèrent le fuyard.

— Vous avez un laissez-passer ?

— Mon numéro de chauffeur. Voyez : 45.