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Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/58

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Une sorte d’escalier rustique, taillé dans le rocher, montait du bord de l’eau jusqu’à une plate-forme où s’élevait une maisonnette de garde. Ensuite une avenue plantée de beaux ormes conduisait au château. René s’arrêta net à cette vue, il venait de surgir devant l’envers de ses yeux — les yeux de son âme plutôt — comme un éclair fugitif.

— Mais je reconnais ce site ! mais je l’ai déjà vu ! toutes ces choses… me répondent.

Une grosse émotion faisait battre son cœur, il dut rester quelques minutes à se remettre. Une colonne de fumée sortant de la cheminée de la maison indiquait qu’elle était habitée. À la fenêtre un rideau à carreaux rouges et blancs, une porte vitrée, un grand toit surplombant et deux coupes de bronze en haut du perron, donnaient encore un ressaut de souvenir à l’enfant tout ému par un rayonnement de pensées tellement lointaines !

Il monta les deux degrés du chalet et la porte s’ouvrit devant lui une femme d’âge moyen, en tablier bleu, au visage frais, rose, épanoui, se montra sur le seuil. À la vue de l’arrivant, elle sembla médusée, elle l’examina, le toisa, pâlît, rougit et finalement, ouvrant les bras, elle s’écria :

— Toi ! enfin, toi ! mon fiské !

On lui tendait les bras. L’enfant, d’instinct, s’y jeta les yeux en larmes, et la grosse Flamande le câlinait.

— Fiské, savez-vous, on t’oubliait pas dehors, mon petit ! Hé, Albert, accours, voilà mon nourrisson, sais-tu, tout grandi ! Douze ans que je vis sur l’espérance de le revoir !

Godforden ! le fiské ! pas possible, Godforden !

Un homme accourait du fond du logis. Il avait le costume de garde-chasse, une moustache blanche et de bons yeux bleus.

Lui aussi prit par les épaules René ahuri, et le contemplant :

— C’est le portrait de sa mère, Godforden, y a pas l’ombre d’un doute, tu sais, c’est le fiské. Hé, Monsieur Rheney !

L’enfant, de plus en plus stupéfait, ne trouvait pas une parole. Il éprouvait au cœur une bonne chaleur de tendresse, lui aussi, pour ces inconnus qui le prenaient évidemment pour un autre ; mais ils étaient sincères. La grosse Flamande offrit :

— Pour lors, fiské, tu as besoin de quelque chose dedans, je vais vous servir à dîner.

— C’est pas abondante chère pour notre jeune maître, observa le garde, mais on pouvait pas deviner le plaisir de t’avoir, tu sais, Monsieur Rheney. Et ta chère maman, elle aussi a fait le voyage ?

— Non, elle est à Paris, répondit le garçon, qui ne pouvait arriver à comprendre comment ces gens savaient son nom et l’aimaient tant.

— À Paris ! Godforden. Et les ennemis, comment t’ont-ils laissé passer dehors, fiské ?

— Toute une histoire que je vous conterai, mais je suis venu ici en mission, mes amis, et avant tout il faut l’accomplir.

— Pour sûr. Rapport à ton pauvre frère tué, je pense.

— Ils veulent dire mon père, songea René ; les drôles de types ! Ils n’ont pas l’ombre de malice.

Ils le poussaient vers la table où la Flamande mettait une nappe, un couvert, pendant que son mari prenait une serviette pour servir.

— Faudra excuser la tenue, Monsieur, on s’attendait pas à un tel bonheur ce matin, tu sais.

René jugea loyal de s’expliquer, il dit :

— Comment me connaissez-vous, mes amis ?

La grosse femme leva ses bras courts vers le plafond :