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conterai, moi aussi : nous irons, quand je serai un peu reposée, visiter mon souterrain et je t’expliquerai des choses.

— Je ne puis, moi, rien t’expliquer. Pendant que tu souffrais, j’étais heureux. Si tu savais comme cette pensée me torture.

Elle sourit.

— Tout est effacé ! Je t’ai. Veux-tu que nous rentrions, ce bon air est délicieux, mais il me grise.

Ils revinrent lentement. Maria-Pia-Isabella de Valradour, fille d’Italie, née sous le ciel radieux de Naples, frissonnait au vent du Nord. Elle se laissa tomber dans un fauteuil et son fils s’assit à ses pieds, les bras appuyés sur ses genoux, les yeux dans les yeux.

— Maman, c’est très curieux, mais on dirait que j’ai deux mamans jumelles. L’autre, que j’aime si tendrement et que tu aimeras, car je veux vous réunir a été l’ange gardien de toute ma vie. Elle devait savoir le secret... mais elle ne m’a jamais rien dit. Et moi, mère chérie, j’hésite à vouloir le connaître. N’est-ce pas être privilégié que de posséder deux mères ? Mais, hélas ! la guerre a pris papa... Celui auquel je donnais cette appellation... juste, si j’en juge par son affection pour moi.

— Ton père, mon enfant, est retourné à Dieu. Il s’appelait Baudouin Rheney de Valradour. Il possédait une grande fortune et c’est sans doute à ces richesses que nous devons tous nos malheurs. Comment as-tu été élevé, toi ? Tu as des manières et un costume qui ne concordent pas.

René se mit à rire :

— Le costume était pour le voyageur qui remplit des métiers variés. La réalité est que ton fils, élevé par le capitaine Ravenel, a eu une éducation excellente, grâce à ma douce mère. — Oh ! tu ne saurais être jalouse — et à mon oncle Pierre qui est prêtre soldat à présent.

— Je voudrais connaître ceux qui t’ont aimé, protégé. Bientôt, je serai forte, nous pourrons partir pour Paris.

— Oui, mais la guerre ! Passer en France est impossible, je ne puis même pas leur écrire. Nous devrons ici — ensemble — attendre la paix. Il faut reprendre la Belgique, nous libérer de l’odieux joug. Vois comme tout s’arrange bien pour nous. Nos trois patries : France, Belgique, Italie, sont alliées, et j’en suis, moi, en quelque sorte l’incarnation. Maman Marthe — veux-tu que je continue à lui donner ce nom ? — et je dirai à toi Mammina... (mot italien qui veut dire : petite mère).

L’Italienne eut une moue légère, vite effacée d’ailleurs :

— C’est juste, dit-elle ; tu lui dois la vie autant qu’à moi... tu dois l’aimer.

— Elle est Française dans toute l’acception du mot, d’aspect, de caractère, d’esprit, comme toi tu es Italienne, et moi... un hybride.

II riait. Mousson, allongé sur le tapis, sa tête sur les jambes de son maître, leva ses yeux tendres vers lui. Alors René le présenta :

— Mère, tu as admis chez toi cette brave bête ; si tu savais quelle parfaite compagne elle a été pour moi. Tu aimes les animaux ?

— Oui. Dans ma prison, imagine-toi que je possédais un rat... un gros rat gris aux yeux vifs ; il mangeait dans ma main. J’avais aussi une plante poussée en face de la fissure du rocher qui me donnait un peu d’air et de jour. Elle avait dû germer là d’une graine poussée par le vent. Elle était frêle, pâle ; puis, à mesure qu’elle grandissait, elle faisait de prodigieux efforts pour se glisser par la fente, attraper un peu de soleil... Elle y est arrivée, tandis que moi... j’attendais mon fils. Songe que, malgré ma douleur constante, je parvenais à me faire de petites joies. Je comptais les saisons par les rayons lumineux qui traversaient l’étroite déchirure du roc,