Aller au contenu

Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuance un peu rose revenait aux lèvres de l’enfant ; deux ou trois fois ces paupières avaient battu, Marthe l’embrassa passionnément.

— Raoul, c’est le ciel qui nous le donne I

Il la calma :

— Attends. Ce petit a sans doute une mère qui le cherche, qui pleure, il s’est noyé par accident. En arrivant en ville, je vais aller faire une déclaration à la police.

— En attendant qu’on le réclame, nous le garderons.

— Bien sûr, il a grand besoin de soins. Il est très maigre, on dirait qu’il a souffert.

— En tous cas, il est joli ! Vois ses traits fins et ses cheveux bruns.

Raoul avait pris les petits vêtements mouillés : une simple combinaison de laine bleue, sans aucune marque, une chemise de toile très fine, des bas de coton, un seul soulier.

Tout cela ne révélait rien du tout ; mais, en dépliant la chemise, une chose frappa l’attention des sauveteurs. C’était une inscription étrange faite avec des cheveux tordus, dont on s’était servi pour broder, soit à l’aide d’une épingle, soit d’une chose pointue quelconque, car une aiguille eût fait un travail plus correct. Les mots à demi détruits avaient un sens vague :

— Qu’est-ce que cela veut dire ? fit l’officier, je déchiffre fort mal, les fils sont brisés… Est-ce que l’infortuné bébé n’aurait pas été victime d’un accident, mais d’un crime ?...

— Montre-moi cela, dit Marthe, tout en tenant contre elle son rescapé pour lui communiquer de sa propre chaleur. Elle épela :

Pas... reci… ce petit… ere emp... mourante te l’envoie. Dieu te récom... Je suis seq… eau… ven... frère... cours.

Stupéfaite, anxieuse, Marthe regarda son mari :

— Un crime ! oui, un crime !

— Non, un accident, expliqua Raoul. L’enfant est envoyé à un frère, qui ne l’a pas reçu, par une mère mourante…

— Et les lettres qui manquent, et le singulier mode d’écriture… C'est un crime, on a voulu se débarrasser de l’enfant. Le mot ere est la fin de mère, emp veut dire empêchée. Dieu te récompensera, c’est clair. Eau est, hélas ! bien réel ; ven est peut-être le commencement de venez, frère est un appel probablement, cours veut sans doute dire accours.

— Il y a bien d’autres interprétations, ma chère amie ; en attendant, soignons le marmot, il s’agite, il rougit, il va avoir la fièvre.

Marthe doucement caressait les petites joues, elle prenait dans les siennes les menottes frêles, qui tenaient ses doigts, son cœur maternel battait joyeusement. Ils étaient heureux du sauvetage !

Raoul Ravenel alla, en arrivant à Givet, faire sa déclaration. Ensuite, il attendit qu’on réclamât sa prise ; il attendit treize ans… Nul jamais ne vint lui demander compte de sa bonne action.

Marthe et lui, en changeant de garnison, emmenèrent l’enfant donné à leur amour par la divine Providence. Autour d’eux, chez eux, nul ne soupçonna le secret jalousement gardé par le jeune ménage.

Ils appelèrent leur enfant du nom symbolique de René. Ils l’élevèrent avec amour, et le petit, doué d’une nature tendre et délicate, ne devina jamais que ceux nommés par lui « papa » et « maman » étaient des étrangers, dont il n’avait aucune goutte de sang dans les veines. Il les aimait avec une infinie tendresse, aucune voix lointaine ne parlait à son cœur ; seulement, il avait quelquefois des rêves effrayants, se voyant ballotté par l’eau, mais un bel ange volait au-dessus de lui et l’enlevait toujours quand il croyait sombrer.