Page:Gouraud d’Ablancourt - Le Mystère de Valradour.djvu/90

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Quelques minutes plus tard, ils abordaient le village, où Mme de Valradour tombait épuisée, haletante, incapable d’un pas de plus. René, inondé de sueur, le cœur battant à se rompre, les oreilles bourdonnantes, mais l’âme radieuse, frappait à la porte de l’auberge de Tournehout. Il pouvait être 6 heures du soir (18 heures) ; les habitants, bien que la nuit fût profonde, ne devaient pas être couchés. L’huis s’entre-bâilla, une lueur vint tracer un mince sillon clair sur la neige.

— L’hospitalité ! dit l’enfant, par pitié, ma mère se meurt, secourez-nous ; je puis payer.

L’ouverture se fit plus grande, une silhouette d’homme se découpa sur le fond lumineux. .

— Vous êtes Français ? dit une voix rude.

— Oui, Français, et ami !

— Entrez.

René poussa sa mère à l’intérieur et le battant se referma, l’homme replaça deux gros verrous. Ils étaient dans une grande pièce propre et chaude, les cuivres et les étains reluisaient, deux femmes cousaient près du poêle ; elles s’approchèrent, curieuses, avec une nuance de sympathie, que la vue de deux pièces d’or accentua soudainement.

— Prenez, dit René, en tendant les louis, et préparez-nous deux lits et un bon repas.

— Vous ont-ils vus entrer ? questionna l’homme inquiet.

— Non. Nous n’avons eu affaire qu’à un seul soldat, qui doit être assez occupé de lui en ce moment pour nous oublier, je suppose. Nous avons l’intention de repartir avant le jour demain ; seulement ma mère est brisée de fatigue, laisscz-la se reposer chez vous quelques heures. Nous sommes dans un pays neutre. Quelle est la station du chemin de fer la plus proche ?

— Varnevoort. Un train passe sur les minuit, il va au port de Rotterdam…

— C’est absolument parfait. Pourrez-vous nous conduire à la gare ?

— Certes, accepta le Hollandais, seulement c’est dangereux pour nous…

— Combien voulez-vous ? coupa René.

— Ça vaut cinq louis.

— Je vous les remettrai à la gare ; tenez, je les ai, regardez.

L’enfant prudent ajouta :

— Il m’en restera encore un pour payer le chemin de fer, qui doit coûter un peu moins…

Pendant ce colloque, les deux femmes avaient fait chauffer du lait et du café. Elles faisaient rôtir du pain.

Marîa-Pia, affalée sur une chaise, semblait près de défaillir ; mais peu à peu, sous l’influence de la chaleur et de la nourriture, elle parvint à se ranimer.

Pendant que la mère et le fils mangeaient silencieusement avec des hôtes qui paraissaient épouvantés de les avoir recueillis, on entendit un gémissement derrière la porte. René aussitôt s’élança pour ouvrir, et on vit se couler dans la pièce un être lamentable en lambeaux, boitant, une oreille arrachée, le museau en sang. Le chat, qui ronronnait sous le poêle, n’en eut pas même peur. René avait pris cette bête misérable dans ses bras :

— Mousson, mon chien ! Dans quel état ils t’ont mis, mon pauvre ami ! Et pour sauver ton maître !

Mousson tirait sa langue sanglante pour lécher le cher petit maître ; mais celui-ci demandait de l’eau afin de laver les plaies du chien, du lait pour le restaurer, de la toile pour le panser.

Et les deux femmes pitoyables s’exécutaient avec bonne grâce.

Après le repas sommaire, les fugitifs purent reposer quelque peu, bien peu, car visiblement leurs hôtes avaient hâte de se débarrasser d’eux.