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Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/10

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venait jamais le voir pour la même raison, son père, longtemps paralysé, malade, avait absorbé les faibles ressources de la famille et était retourné à Dieu, laissant sa femme et son fils presque dans le dénuement. Le comte de Luçon, gentilhomme élégant, distingué, généreux, n’avait jamais su compter, et il avait gaspillé au cercle, au jeu, aux courses, la fortune patrimoniale.

La comtesse Noëlle, née de Lestrange, avait partagé les goûts mondains de son mari et s’était trouvée fort mal armée pour l’épreuve quand la ruine était venue. La religion assez tiède qu’elle pratiquait, accordait mal ses devoirs avec le plaisir qui avait le pas dans son organisation mentale, ne pouvant la soutenir à l’égal d’une fervente chrétienne. Elle avait approuvé son mari de choisir le Lycée Pascal pour l’éducation de leur fils, parce que l’enseignement universitaire laïque, conduisait plus sûrement aux succès des examens par les temps actuels. Ils l’avaient, il est vrai, fait inscrire comme catholique, l’enfant pouvait librement remplir les obligations de sa religion, avec la possibilité qu’on accorde, dans les Lycées, aux pratiques pieuses, sans les restreindre ni les encourager. Le collégien se rendait à une messe basse le dimanche, il oubliait ses prières soir et matin et n’avait nulle idée à l’heure de détresse, d’aller demander au bon Dieu un peu de pitié. Doué d’une belle nature enthousiaste, chevaleresque, une autre éducation en aurait pu faire un apôtre, la sienne l’abandonnait à ses seules forces soutenues pourtant par une grande loyauté, un fond sérieux de croyances que rien ne lui eut fait renier. Mais il n’avait aucune idée d’y puiser une inspiration consolante qui eut déterminé sa conduite. Bientôt il allait éprouver l’aiguillon de sa foi native en face de l’incrédulité.

Le désir si ardent de son ami d’enfance, influença sa volonté, il sourit :

— Alors j’irai chez toi, comme le naufragé va à l’île Providentielle.

Onda aussitôt passa un bras autour du cou de son compagnon, l’embrassa comme un frère :

— Merci, fais descendre ta malle. Je vais prévenir le proviseur.

Le garçon, enchanté, courut au bureau. M. Fléchel le reçut très cordialement. Commençal de la maison Consouloudi, il faisait de bonnes affaires de Bourse par l’intermédiaire de l’obligeant banquier. Il approuva tout de suite l’enlèvement de Tancrède.

— Vous avez raison, mon petit ami, Tancrède mérite mieux que le sort humain ne lui a donné. C’est un brave.