Page:Gouraud d’Ablancourt - Un éclair dans la nuit.djvu/31

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heureuse sans savoir davantage que ce qu’il m’est donné de voir dans le présent. L’heure qu’on vit suffit... Pourtant si je n’étais pas incroyante... si une cérémonie comme celle que je viens de voir m’avait faite chrétienne... si je pouvait moi aussi prier la Sainte Vierge, comme j’ai si souvent vu des femmes prier. C’est tellement doux ce culte où une Mère toute puissante est accessible !...

Quand Aristide revint de son bureau, le soir, après avoir dîner, Eléna le conduisit dans le jardin, au fond, vers la grille. Il y avait là un banc, ils s’y assirent ensemble. Tout de suite elle s’expliqua :

— J’ai une confidence à te faire mon ami, écoute-moi sans te fâcher surtout, avec la justice et l’amour de ton cœur.

— Mais bien sûr, ma petite Eléna, tu ne dois pas avoir de secrets pour moi et tu sais bien que je t’aime que je t’aime assez pour les comprendre tous.

— Je le sais, tu es le meilleur des hommes, seulement je redoute de te causer une peine, de te donner la moitié de la mienne.

— De la tienne... tu as une peine, laisse-moi la prendre toute.

— Non, mais la dissiper. Ecoute. Ton père a recueilli l’épave que je suis, il m’a élevée avec bonté, ta mère, lui, toi avez été ma famille, tous les trois je vous aime et je suis pleinement reconnaissante.

— Je le sais, chérie, va au fait.

— Et bien, j’éprouve des choses étranges depuis que nous sommes à Paris. Voilà plusieurs fois qu’il passe devant mes yeux une vague... comme un mirage, comme un souvenir. Je vois une chose et je me dis : « Je l’ai vue déjà ». J’entends une phrase et je me dis : « Je sais la suite ».

— La suite d’une phrase...

— Oui, par exemple à l’église, où une fois j’étais entrée pour voir... j’ai deviné la suite du Notre Père... j’ai compris le geste d’adoration.

— Eléna ! Eléna chérie ! tu as grand tort d’entrer là, ce n’est pas un lieu pour nous. On peut, au point de vue art connaître un temple chrétien, mais nous associer à un culte illusoire, jamais.

— Pourquoi ? Je vois tant de gens pratiquer une religion, se réunir dans un sanctuaire où la même pensée les conduit. J’aimerais tant croire à la bonté d’un Dieu protecteur. Quel mal vois-tu à ce réconfort ?

— Mais, mon enfant, ce sont des gestes sans sujet, sans valeur, devant une statue de bois.

— Qu’en sais-tu ? Tu dis que j’avais deux ou trois ans quand ton père m’a ramenée mourante chez lui, vous