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ÉMILE VERHAEREN

en lui. Dans sa ferveur, il ne goûte que ce qui est difficile, ce qui lui a demandé un effort intellectuel, et il est porté à mépriser l’expression du sentiment, comme une chose vulgaire et vraiment, croit-il, trop à la portée de tout le monde. Ce n’est qu’en avançant vers la maturité, en pénétrant davantage dans la vie, qu’il s’aperçoit que le sentiment seul comble ce vide étrange qui peu à peu se creuse dans l’homme et que ne réussit à remplir aucune méditation, aucun rêve intellectuel. On découvre un jour la pitié, la bonté, la tendresse, l’amour, c’est-à-dire, en somme, l’égoïsme, car de qui a-t-on pitié si ce n’est de soi-même et qui aime-t-on d’abord, si ce n’est sa propre vie, plus fragile à mesure qu’elle s’écoule ? Le premier Verhaeren semblait tout à fait dénué de ces sentiments élémentaires