Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/13

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c’est sans le savoir ; il trouve que Voltaire écrit bien, surtout en vers ; il ne reproche à Ducis que la barbarie de ses modèles ; il a un idéal ; il n’admet pas que la philosophie soit une excuse de la grossièreté littéraire ; on versifie les traités d’Isaac Newton et jusqu’aux recettes de jardinage et jusqu’aux manuels de cuisine. Ce besoin de mettre où il n’en faut pas de l’art et du beau langage le conduisit à adopter un style moyen, propre à rehausser tous les sujets vulgaires et à humilier tous les autres. Avec de bonnes intentions, le dix-huitième siècle finit par écrire comme le peuple du monde le plus réfractaire à l’art : l’Angleterre et la France signèrent à ce moment une entente littéraire qui devait durer jusqu’à la venue de Chateaubriand et dont le Génie du Christianisme [1] fut la dénonciation solennelle. A partir de ce livre, qui ouvre le siècle, il n’y a plus qu’une manière d’avoir du talent, c’est de savoir écrire, et non plus à la mode de la Harpe,

  1. Ce livre, si mal connu et défiguré dans ses éditions pieuses. Rien de moins pieux cependant et de moins édifiant au delà du premier tome que cette encyclopédie singulière et confuse où on trouve René et des tableaux statistiques, Atala et le catalogue des peintres grecs. C’est une histoire universelle de la civilisation et un plan de reconstruction sociale. En voici le titre complet : Génie du Christianisme ou Beautés de la religion chrétienne par François-Auguste Chateaubriand. — A Paris, chez Migneret imprimeur, rue du Sépulcre, f.s.g., n° 28. An X, 1802. — 5 vol. in-8.