Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/223

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Mais la question ne se pose pas encore. Il s’agit seulement, « au nom de l’utilité actuelle, qui est la morale actuelle, » de réduire l’amour à des actes conjugaux, de faire enfin régner la loi mosaïque dont les hommes ne connaissent pas encore toute la douceur. L’utopiste, ayant réalisé cet effort original, s’arrête et doute ; non de lui-même, mais de la possibilité de réaliser son idéal. Cette faiblesse nous prive de considérations piquantes sur l’état présent des mœurs et aussi sur la nature humaine. On y suppléera. L’utopiste est un type fort bien connu et que l’on peut dépecer de souvenir.

Il y a deux manières de vivre : dans la sensation et dans l’abstraction. L’utopiste, même homme de science, même excellent observateur de menus faits, abandonne, dès qu’il veut généraliser ses idées, tout contact avec la réalité. Voyant, par exemple, que la prostitution sévit dans les sociétés modernes, il en conclut immédiatement : la prostitution est un fait social, et lié à une certaine forme de la société. Construisez une société où toutes les filles seront mariées à dix-huit ans, il n’y aura plus de prostituées. Cette sorte de raisonnement ne manque pas d’élégance. Cependant, si l’on insinuait que la prostitution est un fait humain, avant d’être un fait