Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/25

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forme c’est modifier l’idée : « Quand on dit d’un morceau : le fond est bon, mais la forme est mauvaise, — cela ne signifie rien ». Voilà de bons principes, quoique l’idée puisse exister comme résidu de sensation, indépendante des mots et surtout d’un choix de mots ; mais les idées toutes nues à l’état de larves errantes n’ont aucun intérêt. Peut-être même appartiennent-elles à tout le monde ; peut-être toutes les idées sont-elles communes à tous ? Mais comme celle-ci qui se promène, attendant un évocateur, va se révéler différente selon la parole qui l’aura sortie des ténèbres ! Que vaudraient, dépouillées de leur pourpre, les idées de Bossuet ? Ce sont celles du premier séminariste qui passera et, s’il les proférait, les gens reculeraient, humiliés de tant de sottise, qui s’y enivrent dans les Sermons et dans les Oraisons. Et l’impression sera pareille si, après avoir écouté avec complaisance les paradoxes lyriques de Michelet, on les retrouve dans les discours bas de quelque sénateur, dans les tristes commentaires de la presse dévouée. C’est pour cela que les poètes latins et le plus grand, Virgile, disparaissent traduits, se ressemblent tous dans l’uniformité pénible d’une pompe normalienne. Si Virgile avait écrit selon le style de M. Pessonneaux, ou de M. Benoist,