Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/276

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terait même pas des reflets qui dorment dans les sources. A l’écart de tout, en une solitude rigoureuse et farouche, il soignerait, jaloux et silencieux, la fleur précieuse de son jardinet, trop précieuse pour l’œil d’autrui. Tels peut-être les solitaires de jadis ? Non, car ils ne cultivaient leur moi que pour l’arracher, attendant que la plante fût devenue assez solide pour donner prise aux mains du renoncement[1]. Illogique, il convie autrui à visiter ses plates-bandes et ses serres, car, horticulteur à la mode, et non plus pauvre jardinier, il exhibe d’alléchantes collections d’azalées et de phénoménales orchidées, images provignées de son orgueil. Lui seul est le grand horticulteur, mais sa propre affirmation défaille si les autres ne la confirment.

Nietzsche, le négrier de l’idéalisme, le prototype du néronisme mental, réserve, après toutes les destructions, une caste d’esclaves sur laquelle le moi du génie peut se prouver sa propre existence en exerçant d’ingénieuses cruautés. Lui aussi veut qu’on le connaisse et que l’on approuve sa gloire d’être Frédéric Nietzsche, — et Nietzsche a raison[2].

  1. Le solitaire, même seul, n’était pas toujours seul. Parfois il entendait « la voix qui parle aux solitaires ». (HELLO, Physionomies de Saints, p. 423.)
  2. L’auteur ne change rien à ce paragraphe où apparaît son ignorance d’alors touchant Nietzsche. Mais cette ignorance même est bonne à constater, à cause du parallélisme de certaines idées. Plus d’un esprit libre et logique de ce temps a relu dans Nietzsche telle de ses pensées.