Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

parce que, tout en percevant la logique de ces rapprochements, nous en percevons, non moins bien, la délicieuse absurdité.

De telles associations sont nécessairement des plus fugitives, à moins que la langue ne les adopte et n’en fasse un de ces tropes dont elle aime à s’enrichir ; il ne faudrait pas être surpris que ce pli d’un câble s’appelât le « genou » du câble. En tout cas, les deux images restent prêtes à divorcer ; le divorce règne en permanence dans le monde des idées, qui est le monde de l’amour libre. Les gens simples parfois en demeurent scandalisés ; celui qui, pour la première fois, selon que l’un ou l’autre des termes est le plus ancien, osa dire la « bouche » ou la « gueule » d’un canon fut sans doute accusé soit de préciosité soit de grossièreté. S’il est malséant de parler du genou d’un cordage, il ne l’est point d’évoquer le « coude » d’un tuyau ou la « panse » d’un flacon. Mais ces exemples ne sont donnés que comme types élémentaires d’un mécanisme dont la pratique nous est plus familière que la théorie. Nous laisserons de côté toutes les images encore vivantes pour ne nous occuper que des idées, c’est-à-dire de ces ombres tenaces et fugaces qui s’agitent éternellement effarées dans les cerveaux des hommes.