Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/97

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concrètes, c’est-à-dire une vérité. Le travail de la dissociation tend précisément à dégager la vérité de toute sa partie fragile pour obtenir l’idée pure, une, et par conséquent inattaquable. Mais si l’on n’usait jamais des mots que selon leur sens unique et absolu, les liaisons seraient difficiles dans le discours ; il faut leur laisser un peu de ce vague et de cette flexibilité dont l’usage les a doués et, en particulier, ne pas trop insister sur l’abîme qui sépare l’abstrait du concret. Il y a un état intermédiaire entre la glace et l’eau fluide, c’est quand l’eau commence à se façonner en aiguilles, quand elle craque et cède encore sous la main qui s’y plonge : peut-être ne faut-il pas demander même aux mots du manuel philosophique d’abdiquer toute prétention à l’ambiguité ?

Cette idée d’armée qui excita de graves polémiques, qui ne fut un instant dégagée que pour s’obscurcir à nouveau, est de celles qui touchent au concret et dont on ne peut parler sans de minutieuses références à la réalité ; l’idée de justice, au contraire, peut se considérer en soi, in abstracto. Dans l’enquête que fit M. Ribot sur les idées générales, presque tous les patients, prononcé devant eux le mot Justice, virent en leur esprit la légendaire dame et ses balances.