Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/165

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posés sur nos yeux aient abrité, ruches privilégiées, un grand mouvement de pensées, une noble rumeur d’abeilles ; mais nous oublions que ni les idées des hommes, ni leurs actes ne sont écrits dans leur apparence charnelle, et que d’ailleurs, vue et reproduite par un artiste, cette apparence contient désormais le génie de l’artiste et non le génie du personnage. Devant celui qui est né pour interpréter des figures, la face d’un tisserand et la face de Goethe, l’arbre obscur du bois inconnu et le figuier de saint Vincent de Paul ont absolument la même valeur : celle d’une différence.

Le monde est une forêt de différences ; connaître le monde, c’est savoir qu’il n’y a pas d’identités formelles, principe évident et qui se réalise parfaitement dans l’homme puisque la conscience d’être n’est que la conscience d’être différent. Il n’y a donc pas de science de l’homme ; mais il y a un art de l’homme. M. Schwob a dit là-dessus des choses que je veux déclarer définitives, ceci par exemple : « L’art est à l’opposé des idées générales, ne décrit que l’individuel, ne désire que l’unique. Il ne classe pas ; il déclasse. » Paroles singulièrement lumineuses et qui ont encore un autre mérite : celui de fixer nettement par quelques sylla-