Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/167

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ou qu’Aristote collectionnât toutes sortes de vases de terre, cela ne caractérise ni un grand astronome ni un grand philosophe, mais il faut compter ces traits parmi ceux qui serviront à différencier Lalande de lui-même et Aristote de lui-même. Faute de connaître de tels détails, le vulgaire s’imagine les hommes célèbres en la perpétuelle attitude d’une figure de cire ; et si on les lui révèle, il s’indigne, faute de les comprendre, contre ce qui est un des signes les plus clairs d’une vie individuelle. Les hommes veulent que les hommes qu’on leur raconte soient logiques, sans s’apercevoir que la logique est la négation même d’une existence particulière.

Je tente d’expliquer une méthode ; c’est plus difficile que de dire son impression sur le résultat obtenu. Le résultat, en plusieurs volumes de contes et particulièrement dans les Vies Imaginaires, est qu’une centaine d’êtres sont nés, remuent, parlent, suivent les routes de terre ou de mer avec une merveilleuse certitude vitale. Si l’ironie de M. Schwob s’était un peu inclinée vers le genre de mystification (où excella Edgar Poe) que les Américains appellent hoaxe, que de lecteurs même savants il aurait pu duper avec cette vie de Cratès,