Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/274

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avaient demandé au document du passé : la vérité réaliste.

Chercher la vérité semble une entreprise illusoire et paradoxale. Avec de la patience, on atteint quelquefois l’exactitude, et avec de la conscience, la véracité ; ce sont les qualités fondamentales de l’histoire ; on les retrouve dans les romans des Goncourt. Leurs fictions, plus que toutes autres, inspirent confiance ; on peut y étudier la vie comme dans la vie elle-même ; les faits, transposés selon le ton nécessaire, loin d’être défigurés, sont encore accentués et rendus plus vivants par l’art qui les remet en leur place et en leur lumière logiques. Le réalisme ne s’y étale jamais avec la brutalité démocratique où il descendit plus tard ; ils manient les anecdotes sociales avec délicatesse, comme les médecins font des plaies les plus sales ; avec pitié, avec dédain, avec joie, — toujours avec cette supériorité aristocratique, don de ceux qui, élevés au-dessus de la basse vie, n’y inclinent que leur intelligence et n’y mettent pas les mains. Tous leurs romans sont observés de haut, par un regard qui plonge ; ils dominent leurs personnages ; ils ne sont jamais familiers, mais jamais insolents.